La créativité des enfants surdoués évaluée au travers de tâches d’Insight

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Licencié en Sciences Psychologiques, par Elise Lebrun.

Promoteur: Professeur Jacques Grégoire

Les enfants surdoués sont des enfants fascinants mais souvent peu compris. Etre surdoué est une particularité qui peut devenir difficile à vivre si l’enfant n’est pas détecté à temps et compris dans sa spécificité. Quand c’est le cas, différents problèmes peuvent survenir: dépression, échec scolaire, tentative de suicide, troubles alimentaires, … Il est donc essentiel d’aider ces enfants à s’adapter à un système qui ne fonctionne pas comme eux.

Notre étude a pour objectif une meilleure compréhension du fonctionnement créatif des enfants surdoués dans le but de les identifier plus facilement et de leur procurer un encadrement optimal et adapté à leur fonctionnement si différent.
Nous avons voulu tester la croyance générale qui soutient que les enfants surdoués sont des enfants créatifs. Nous avons également tenté de mieux cerner le lien entre la créativité et le surdouement, et nous avons voulu identifier les facteurs qui prédisent la réussite créative.

La première partie de ce mémoire nous a permis de définir le concept du surdouement. Nous avons vu que les auteurs ne s’accordent pas sur une définition unique. La multitude de définitions qui existe est cependant nécessaire car elle reflète la grande variabilité existant parmi les enfants surdoués.
Nous avons ensuite abordé les modèles théoriques dominants proposés par la NAGC (National Association for Gifted Children, 2006). Les modèles de Renzulli, Gardner, Sternberg et Gagné ont ainsi été présentés. Ces conceptions du surdouement ont permis la mise en évidence de la nécessité de prendre en compte d’autres facteurs que le QI dans l’identification des enfants surdoués.
Ensuite, nous avons décrit les caractéristiques cognitives, de personnalité, relationnelles, developpementales et scolaires que présentent ces enfants. Ces caractéristiques mettent, elles aussi, en évidence le fait que l’intelligence, à elle seule, ne rend pas bien compte de la réalité des enfants surdoués.

Dans la seconde partie, nous avons investigué la créativité des enfants surdoués.
La définition de la créativité apparaît vaste et complexe. Cependant, nous avons pu relever deux composantes sur lesquelles les auteurs sont quasi unanimes: la créativité implique des aspects de nouveauté et d’adaptation.
Toutefois, les avis divergent en ce qui concerne les processus sous-jacents à la créativité. Certains la considèrent comme un phénomène inconscient, s’appuyant sur l’insight, alors que d’autres la voient comme un processus de résolution de problèmes conscient et contrôlé.
La créativité dépendant à la fois de caractéristiques cognitives, de personnalité et environnementales, nous l’avons abordée selon un modèle multifactoriel.
Enfin, nous avons vu que de nombreux moyens différents permettent l’évaluation de la créativité. Parmi ceux-ci, nous nous sommes penchés sur les tests d’insight.


L’insight est une caractéristique fondamentale de la créativité. Il correspond à la découverte soudaine de la solution d’un problème suite à une restructuration cognitive du problème chez la personne.
L’insight est requis principalement pour la résolution de problèmes peu définis, c’est-à-dire qui ont un état initial et un but clairs mais dont les opérations menant à la solution ne sont pas spécifiées explicitement. La résolution de tels problèmes implique de la créativité et de l’insight.
En effet, nous avons vu que, pour résoudre un problème d’insight, la personne doit posséder des capacités de flexibilité mentale et de pensée divergente: elle doit pouvoir restructurer le problème d’une façon qui n’est pas évidente à première vue. Ces capacités sont impliquées à la fois dans l’insight et dans la créativité.


Enfin, nous avons vu en quoi l’insight est une capacité primordiale pour la créativité. En effet, l’insight implique les autres capacités cognitives importantes à la créativité. En évaluant la capacité d’insight d’une personne, nous évaluons aussi ses capacités de flexibilité, de pensée divergente, de combinaison sélective, etc. D’ailleurs, les auteurs qui proposent des conceptions théoriques de la créativité y incluent, la plupart du temps, l’insight comme composant central. C’est donc un élément de choix pour évaluer ce concept multifactoriel qu’est la créativité. De plus, mesurer la créativité d’une personne à l’aide de tâches d’insight est simple et objectif, là où la créativité est un concept complexe à appréhender et qui implique beaucoup de subjectivité. Par ailleurs, de nombreux auteurs ont démontré l’existence d’une forte corrélation entre l’insight et la créativité.
Pour toutes ces raisons, nous avons appréhendé, dans notre recherche empirique, la créativité des enfants surdoués à l’aide de tâches d’insight.
Le dernier chapitre de cette seconde partie porte sur le lien entre l’intelligence et la créativité.
Nous avons vu que les premières grandes études sur le sujet concluent de l’indépendance de ces deux concepts. Toutefois, de nombreuses critiques ont été émises.


Les recherches actuelles sur le lien conceptuel entre intelligence et créativité se divisent en deux grands courants. Certains auteurs considèrent la créativité comme une composante du surdouement alors que d’autres la considèrent comme un type de surdouement, à côté du surdouement académique notamment. Cependant, ces deux courants ont un point commun: ils considèrent l’intelligence et la créativité comme relativement dépendantes l’une de l’autre.
Quant aux recherches sur la corrélation existant entre la créativité et l’intelligence, les résultats obtenus diffèrent fortement d’une étude à l’autre. Certains auteurs concluent de l’indépendance de ces deux concepts alors que d’autres considèrent que l’intelligence et la créativité sont corrélées.
Par ailleurs, nous avons constaté que de nombreuses caractéristiques cognitives et de personnalité se retrouvent à la fois chez les enfants surdoués et chez les enfants créatifs.


Enfin, plusieurs auteurs ont montré que les enfants surdoués réussissent mieux aux tâches d’insight que les enfants intellectuellement dans la norme. Cependant, d’autres auteurs ne voient aucune corrélation entre l’intelligence et la capacité de résolution de problèmes d’insight.

Dès lors, suite à ces divergences de résultats concernant le lien entre intelligence et créativité, et entre intelligence et insight, nous avons tenté d’apporter un élément de clarification supplémentaire à ce champ de recherche vaste et controversé.

Notre recherche s’est basée sur deux questions principales: les enfants surdoués se différencient-ils des enfants intellectuellement dans la norme au niveau de la créativité évaluée à l’aide de tâches d’insight ? Quels éléments peuvent expliquer la réussite à ces tâches ?

Nous avons opérationnalisé ces questions en plusieurs hypothèses. Les résultats que nous avons obtenus ne sont pas toujours consistants avec la littérature existante.


Tout d’abord, nous avons émis l’hypothèse que les tâches d’insight permettent une évaluation, au moins partielle, de la créativité. Nous verrons ci-dessous que les résultats obtenus quant au lien entre surdouement et scores aux tâches d’insight concordent avec la littérature étudiant le lien entre surdouement et créativité. Notre hypothèse a donc été confirmée: les résultats aux tâches d’insight permettent d’évaluer la créativité.
En second lieu, nous nous sommes posé la question de savoir si les enfants surdoués ont des résultats différents aux tâches d’insight par rapport aux enfants qui ont un QI dans la norme. Lorsque nous avons comparé les deux groupes, nous n’avons pas trouvé de différence significative dans leurs résultats. Cependant, nous avons trouvé une relation particulière entre le QI et les résultats aux tâches d’insight. Chez les enfants intellectuellement dans la norme, plus le QI augmente, plus les résultats aux tâches d’insight augmentent. Tandis que chez les enfants surdoués, quel que soit le QI, la réussite aux tâches varie de manière aléatoire. Certains enfants surdoués ont donc très bien réussi les tâches alors que d’autres non.
Ces résultats correspondent à la littérature qui étudie le lien entre intelligence et créativité: le QI est bénéfique à la créativité mais, à partir d’un certain niveau de QI (de 120), cet effet n’est plus observé. Les enfants qui ont un niveau de QI faible ne sont pas créatifs mais tous les niveaux de créativité peuvent être observés chez les enfants qui ont un QI au-delà de 120.


Cela peut expliquer pourquoi la relation entre le fait d’être surdoué ou non et les résultats aux tâches d’insight n’est pas significative. En effet, les enfants surdoués peu créatifs tirent la moyenne de leur échantillon vers le bas.
Par ailleurs, nous avons observé une meilleure réussite des enfants surdoués aux tâches verbales. Par contre, aucune différence de temps de réponse n’a été remarquée entre les deux groupes d’enfants.


Troisièmement, nous avons émis l’hypothèse que les enfants surdoués ne réussissent pas tous aux tâches d’insight. Les résultats obtenus confirment cette hypothèse. Cela concorde avec les auteurs qui considèrent la créativité comme un type de surdouement et non comme une composante du surdouement. Il existerait donc des enfants académiquement et/ou créativement surdoués.
Nous avons alors posé l’hypothèse suivante: certaines caractéristiques, telles que l’âge, le sexe ou les caractéristiques scolaires, peuvent différencier les enfants qui réussissent de ceux qui ne réussissent pas aux tâches d’insight.
En ce qui concerne l’influence de l’âge sur la créativité, nous avons observé que seuls les enfants intellectuellement dans la norme les plus jeunes et les enfants surdoués les plus âgés diffèrent significativement des autres. L’âge a donc un effet limité sur la créativité car les différences de résultats s’observent seulement pour les groupes les plus extrêmes.
Nous n’avons pas pu montrer d’influence significative du sexe sur les résultats des enfants. Cela ne correspond pas à la littérature qui concluait une plus grande créativité des filles. Toutefois, un biais peut être lié au fait que l’échantillon de filles est très petit par rapport à celui de garçons.
Par rapport à l’influence des caractéristiques scolaires sur les résultats aux tâches d’insight, les analyses effectuées ne peuvent être interprétées étant donné le très petit nombre de sujets dans les différentes catégories. Nous n’avons donc pas pu comparer les enfants sur leurs caractéristiques scolaires.
Enfin, nous avons supposé que la phase d’incubation permettait une meilleure réussite aux tâches d’insight. Toutefois, les résultats obtenus ne permettent pas de confirmer cette hypothèse.

Notre recherche empirique nous a donc permis de répondre aux deux questions problèmes.
Notre première question étant de savoir si les enfants surdoués se différencient des enfants intellectuellement dans la norme au niveau de la créativité mesurée par des tâches d’insight. Ces deux échantillons n’ont pas des résultats significativement différents, cependant, comme nous l’expliquons ci-dessus, le lien entre QI et créativité est particulier et diffère en fonction du fait d’être surdoué ou non.
La seconde question tentait de cerner les éléments qui peuvent expliquer les résultats obtenus aux tâches d’insight. Nous avons vu que le QI, le type de tâche et l’âge ont une influence sur les résultats aux tâches d’insight, donc sur la créativité.

Il nous parait important de garder à l’esprit certaines limites qui ont pu biaiser les résultats obtenus. Particulièrement, nous nous sommes rendus compte, au fur et à mesure de notre avancement, que la créativité est un concept complexe à appréhender. L’insight ne permet qu’une évaluation partielle de la créativité: il mesure le potentiel créatif. D’autres éléments sont donc nécessaires pour une mesure complète et globale de la créativité, comme nous l’expliquons ci-dessous.

Cette étude nous a permis de contredire la croyance qui suppose que les enfants surdoués sont tous créatifs. D’autres facteurs que l’intelligence entrent en jeu dans la capacité créative, la personnalité et l’environnement jouent également un rôle important. Il serait donc intéressant de répliquer cette étude en y ajoutant des mesures de personnalité et environnementales de manière à étudier leur rôle dans la créativité (évaluée à l’aide de tâches d’insight).

La créativité et l’intelligence constituent un sujet de débat dans le milieu scientifique. Nous avons tenté de mieux cerner ces concepts et de mieux comprendre leurs interactions.
Nous espérons avoir permis une meilleure compréhension des enfants surdoués et de leur créativité. Nous espérons également avoir donné l’envie de faire des recherches dans ce domaine, de manière à permettre une meilleure intégration de ces enfants si différents dans notre société et dans le système scolaire actuel.

Elise Lebrun

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